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28 mars 2014 5 28 /03 /mars /2014 07:34

Vincent LohouesSelon un document publié sur le site Internet officiel du chef de l’Etat, l’ancien Ministre de la Construction, Vincent Essoh Lohoues, fait partie des « sages » qui conseillent notre président  (lire encadré).

Apparemment les producteurs d’hévéa regroupés au sein de l’Aprocanci (Association des Producteurs de Caoutchouc de Côte d’Ivoire) ne partagent pas cet avis.

Depuis le 19 octobre 2009, ils poursuivent sans pitié ce « sage » pour « abus de confiance portant sur la somme de 3,8 milliards FCFA ».

Après plusieurs mois d’enquête, les conclusions de la Police économique et financière, accablantes contre l’ancien ministre, ont été transférées le 12 mai 2010 au parquet d’Abidjan.

Mais depuis, on ne sait trop pourquoi et au grand désarroi des plaignants, la justice se presse très lentement pour se prononcer sur le dossier.

Petit retour sur une affaire qui ressemble comme deux gouttes d’hévéa, au scandale de la filière café-cacao.

 

« Pour protéger nos gains »

Ça commence presque toujours de la même manière. Pour redynamiser leur filière et sauvegarder leurs gains en cas de chute des prix, des producteurs s’organisent et mettent en place une structure. Laquelle est autorisée à opérer des prélèvements sur chaque kilogramme de produit vendu à l’extérieur du pays.

L’argent collecté est gardé sur un compte dans une banque, sous la surveillance des dirigeants de la structure créée. Mais le jour où les prix dégringolent et que les producteurs appellent au secours, les dirigeants de la structure lèvent les bras au ciel en signe d’impuissance. L’argent n’est plus disponible.

C’est une mésaventure similaire que les membres de l’Aprocanci ont vécue et qui les a conduits à saisir la justice.

C’est que courant 2004, dans le but de « soutenir le prix payé aux producteurs d’hévéa en cas de besoin, améliorer les conditions de travail des planteurs d’hévéa, susciter et accompagner des actions de développement de l’hévéaculture et améliorer les revenus des planteurs », les producteurs d’hévéa ont récupéré la gestion d’un fonds créé quelques années plus tôt et qu’ils ont rebaptisé « Fonds Interprofessionnel de Solidarité Hévéa » (FISH).

Pour permettre à cette structure de mener à bien ses missions, ils décident en Assemblée Générale Ordinaire tenue le 24 juin 2004 à la salle de conférence du 1er étage de l’immeuble Caistab, de la « doter de ressources financières par la constitution d’un fonds de soutien des prix aux producteurs».

Ainsi, pour son fonctionnement, les membres décident de mettre à disposition du FISH, 1 franc par kilogramme d’hévéa vendu et, pour le soutien des prix, 10 francs par kilogramme. La date de mise en application de ces décisions (prélèvement de 11 francs CFA au total) est fixée au 1er juillet 2004.

Au cours de cette même Assemblée Générale Ordinaire, l’ancien ministre Vincent Essoh Lohoues, producteur d’hévéa, considéré  par les uns et les autres comme le « doyen », est proposé et élu à la fois président du Conseil d’Administration et président du Comité de gestion des fonds à collecter. Ce qui est plutôt étrange. Car, dans les faits, il occupe à la fois les fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général. Il gèrera donc l’argent et se rendra compte à lui-même. La porte ouverte à toutes sortes de dérives ?

 

Trois milliards vous manquent et c’est l’enfer !

Pendant près de trois ans (1er juillet 2004-31 mai 2007), sous la gestion de Vincent Essoh Lohoues, les producteurs vont cotiser  la somme totale de trois milliards trois cent trente neuf millions cent soixante deux mille six cent soixante dix-neuf (3.339.162.679) FCFA. Suivant le compte rendu de la réunion du Comité de gestion tenue le 25 juin 2007.

Mais à la fin de l’année 2007, les cotisations pour l’alimentation du fonds de soutien des prix seront arrêtées. Au 31 décembre 2007, elles  s’élevaient à 3,8 milliards FCFA.

C’est que, en mai 2007, les producteurs avaient décidé de créer une usine dont les ressources générées par les prestations qu’elle accomplirait pour leur bénéfice, devraient remplacer les cotisations qu’ils faisaient.

Ainsi, le 4 mai 2007, ils créeront « l’Ivoirienne de Traitement du Caoutchouc » en abrégé (ITCA) avec un capital de 200 millions de FCFA. Argent pris dans les comptes du FISH.  

Vincent Essoh Lohoues sera de nouveau désigné président du Conseil d’Administration de cette nouvelle société. Il ne refuse rien. Quel don de soi !

D’autres administrateurs tels que BENZEME Atchiri Antoine ; ESSUEKY Niamien ; OULOTO Eric Jean d'Acquin  et WADJAS Assouan Honest, actuel président du Conseil d’Administration de l’Aprocanci…seront nommés pour l’aider dans sa lourde tâche. 

Quelles sont les missions assignées à cette société ? « Achat du caoutchouc-Collecte et transport du caoutchouc-Création et exploitation de plantation d'hévéa-Acquisition et gestion d'usine de traitement de caoutchouc-Commercialisation du caoutchouc en Côte d'Ivoire et à l'étranger -Exploitation de licences dans le domaine de la transformation du caoutchouc-Intermédiation financière-construction ou acquisition d'immeuble-Toutes opérations de transit, aussi bien à l'importation qu'à l'exportation, le groupage, le transport routier, ferroviaire, fluvial et aérien de toutes marchandises… »

Selon les Statuts du FISH, « en cas de chute du prix d’achat de l’hévéa en dessous de 200 FCFA le kilogramme, le Fish doit utiliser les ressources du fonds de soutien » pour permettre aux planteurs de maintenir les 200 FCFA/KG.

Dans la deuxième moitié de l’année 2008, le secteur du caoutchouc est frappé par une grave crise et les prix dégringolent rapidement.

Le 2 janvier 2009, devant la chute continue du prix d’achat au producteur, WADJAS Assouan Honest, membre du Conseil d’Administration du FISH, adresse un courrier (en sa qualité de président du Conseil d’administration de l’Aprocanci), à Vincent Essoh Lohoues. Dans ce courrier, il appelle le « gardien » des ressources des producteurs à la tempérance dans l’utilisation du fonds de soutien aux prix, logé dans deux banques. 

Trois  jours plus tard, le prix d’achat aux producteurs chute pour s’établir à 198F/Kg.

De nouveau, WADJAS Assouan Honest, le 7 janvier 2009, écrit au « Pca » et « directeur général » du FISH. Mais les deux courriers resteront sans suite et le Fish ne réagira pas face à la détresse des producteurs.

Les 3,8 milliards placés en DAT (dépôt à terme) dans deux banques plus les intérêts générés n’étaient pas suffisants pour donner un coup de mains aux producteurs comme convenu depuis 2004 ?

 

« Venez voir, c’est notre usine ! » 

Le 1er avril 2009, alors que le non soutien du prix par le FISH provoque une sourde grogne dans le monde des planteurs et que certains réclament leurs cotisations, Vincent Essoh Lohoues invite ces derniers à l’inauguration de l’usine ITCA à Grand-Bouboury, un village situé à trois kilomètres de Dabou.

La cérémonie, est placée sous le parrainage de son « grand ami » Laurent Gbagbo. Lequel, émerveillé à la vue de cette usine, dira : « Le temps où nous étions seulement un pays agricole est passé. Nous sommes dans un autre temps où il faudra transformer la production agricole avant de l’exporter. La vocation de la Côte d’Ivoire n’est plus une vocation de producteur de matières premières. Elle devient une vocation d’exportateur de matières premières transformées. Il y a plus d’avantages en cela.»

Prenant la parole à son tour, le Pca, président du Comité de gestion du Fish et Pca de l’usine ITCA, Vincent Essoh Lohoues, au nom de tous les planteurs, exprimera sa reconnaissance à Laurent Gbagbo, avant de déclarer à l’attention de ces derniers : « Cette usine est notre affaire, notre business à nous tous. Prenons-en soin en l’approvisionnant de nos matières premières ».

Selon les explications du Pca, la construction de l’usine aurait coûté aux producteurs la somme de près de 2,3 milliards FCFA, pris dans le fonds de soutien aux prix. Ce qui fait ainsi du Fish, organisation à but non lucratif, l’actionnaire principal d’ITCA.

Mais les producteurs regroupés au sein de l’Aprocanci et à qui aucun détail sur le financement de la construction de cette usine n’avait jamais été donné, vont trouver excessif le montant annoncé.

Tout de suite après la cérémonie d’inauguration et le départ du président Gbagbo et sa délégation, ils vont réclamer des comptes à Vincent Lohoues Essoh. Lequel restera de marbre pendant plusieurs mois.

 

« On nous a encore volés ! »

Devant la tournure que prenaient les choses, des producteurs décident de mener leur propre enquête sur les activités de celui en qui ils avaient placé leur confiance. Certains vont découvrir que depuis 2004, une entreprise du nom de Lepaci (Lohoues Essoh Production Agricole de Côte d’Ivoire), a été créée par Vincent Lohoues Essoh et est dirigée par Lohoues Essoh Lath Stéphane, qui n’est autre que le fils de son père. Et que, dès la mise en activité de l’usine ITCA, Lepaci est devenu le fournisseur principal d’hévéa non traité à ladite usine. Que l’hévéa fourni à ITCA est acheté avec l’argent des producteurs via le FISH. Et tout ça, dans le dos des producteurs ?

Devant cette découverte, le sang de ces producteurs ne fait qu’un tour. Echaudés par le cas des ex-dirigeants de la filière café-cacao dont la quasi-totalité (en dehors de quelques-uns et des conseillers de Gbagbo dans la filière qui ont préféré fuir le pays pour prouver leur innocence) était en prison depuis juin-juillet 2008, ils décident de porter plainte contre Vincent Lohoues Essoh.

Le 19 octobre 2009, soit neuf mois après l’inauguration de l’usine ITCA, le président du Conseil d’Administration de l’Aprocanci, WADJAS Assouan Honest, agissant pour le compte de l’ensemble des membres, dépose une plainte auprès du parquet d’Abidjan. Pour « abus de confiance » portant sur la somme de 3,8 milliards de FCFA (voir notre document), et pour la rétention des retenues opérées sur les produits livrés à ITCA par les producteurs.   

24 heures plus tard, la plainte est acheminée à la Police économique et financière pour enquête complète.

 

D’atroces conclusions contre le « sage »

Après sept mois d’enquête et à la suite de l’audition d’une dizaine de personnes dont WADJAS Assouan Honest (le plaignant pour le compte de l’Aprocanci, auditionné à deux reprises), Vincent Lohoues Essoh (le suspect, auditionné à deux reprises), Lohoues Essoh Lath Stéphane, directeur général de Lepaci…les fins limiers de la Police Economique et Fiancière, le 12 mai 2010, transmettent au parquet, leurs conclusions (voir document). Elles sont accablantes pour l’ancien ministre.

En effet, les enquêteurs écrivent :

« (…) De l’analyse des faits et déclarations, deux situations se dégagent :

Premièrement, le dépôt à terme (DAT) de 3,3 milliards FCFA constitué par le prélèvement de 10 francs par kilogramme, et positionné sur les comptes bancaires du FISH, a été fait à la seule initiative du nommé Lohoues Essoh Vincent. Cette somme n’a pu être disponible au moment où les planteurs en avaient besoin pour soutenir la chute du prix du caoutchouc. Ce montant peut être considéré comme détourné par le nommé Lohoues Essoh Vincent.

Deuxièmement, la société ITCA a été créée grâce aux cotisations faites par les planteurs d’hévéa  dans le cadre du FISH. Le nommé Lohoues Essoh Vincent ne peut donc affirmer valablement que la société ITCA n’est pas membre de l’Aprocanci, et partant de la filière. En conséquence, toutes les retenues opérées à ce titre, doivent revenir aux structures de la filière. Il peut donc être retenu contre le nommé Lohoues Essoh Vincent, le délit d’abus de confiance portant sur 101,9 millions (…) compte tenu de sa qualité d’ancien membre du Gouvernement, lui avons signifié de répondre à toute réquisition du parquet. »

Traduction : Le suspect devrait être arrêté mais en raison de sa qualité d’ancien ministre, nous pensons qu’il ne fuira pas et pourra répondre aux convocations du parquet.

On dit merci qui ?

Au parquet, le dossier est immédiatement refilé à un juge d’instruction. Mais, de 2009 à 2013, il ne se passera rien du tout. Malgré les va et vient des avocats des plaignants, rien ne bougera.  Des mains fermes venant de l’extérieur auraient-elles neutralisé le dossier dans l’espoir d’obtenir la prescription des faits ? Tout porte à le croire.

Mais c’était sans compter avec la détermination des producteurs regroupés au sein de l’Aprocanci. Lesquels viennent de réussir à faire dépoussiérer de justesse le dossier et à le remettre dans la voie judiciaire, alors qu’accourait dangereusement la prescription.

Entre-temps, imperturbable, non inquiété  et prospérant depuis plusieurs années à la tête du Fish et de ITCA, l’ancien ministre, en février 2012, a procédé à la cession de plusieurs actions de l’usine à des partenaires étrangers et, a fait passer le capital, de 200 millions à 500 millions FCFA. 

C’est ce qui transparaît dans une annonce légale diffusée dans la presse (lire encadré).

Il n’a peur de rien ?

En novembre 2012, l’ancien ministre, a conduit des investisseurs Chinois chez le président Alassane Ouattara à qui il a dit que ces Chinois entendent investir 200 milliards en Côte d’Ivoire et créer 10 mille emplois (lire encadré).

Ce qui a dû énormément plaire à notre président. Mais notre président Ouattara dit que la justice est indépendante et qu’elle doit « donner raison à celui qui a raison et tort à celui qui a tort », on ose espérer que la justice, enfin, va demander des comptes au « sage » Vincent Lohoues Essoh au sujet des accusations qui sont portées contre lui par les producteurs et confirmées par une enquête judiciaire.

Parce que, dans ce pays, paraît-il, avec notre nouveau président Alassane Ouattara, nul n’est au dessus de la loi.

Daniel Sovy.

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